Des virus au service de l’humanité ?
Il était une fois, le bactériologiste anglais Ernest Hankin, qui mit en évidence pour la première fois la présence d’entités antibactériennes dans les eaux de fleuves indiens, mettant l’humanité sur la voie d’une thérapie anti-infectieuse prometteuse et plus que jamais d’actualité.
Retournons en 1896, au bord du Gange, là où le choléra fait des ravages. Hankin, alors missionné pour travailler sur le bacille cholérique, est surpris par la faible quantité de Vibrio cholerae présente dans le fleuve. Il se demande également pourquoi, lorsque le choléra éclate sur les rives, il ne descend pas dans les villages en aval. La maladie étant transportée par l’eau, sa propagation devrait en effet suivre les flots. Hankin révèle alors l’existence d’une substance qui même après passage sur filtre Chamberland, s’attaque aux bactéries responsables du choléra, avec une redoutable efficacité.
Cette curiosité interpella Félix d’Hérelle, un chercheur français qui mit en évidence en 1917 des entités biologiques capables de former des plages de lyse sur cultures bactériennes. Il nomma tout simplement ces mangeurs de bactéries, « bactériophages ». Le chercheur envisagea immédiatement de les utiliser pour traiter des infections bactériennes, et c’est ainsi qu’en 1919, il soigna un patient atteint de dysenterie : la phagothérapie était née.
Mais que se cache-t-il derrière ces tueurs de bactéries ?
Il faudra attendre les années 1940 pour que les bactériophages soient observés avec un microscope électronique. La biologie moléculaire permit ensuite de découvrir qu’il s’agissait de virus encapsidés ne s’attaquant qu’aux bactéries, de manière très spécifique et ciblée. De plus, il s’avéra que les bactériophages se retrouvent dans tous les biotopes, d’autant plus si le milieu est riche en bactéries, comme le sol ou les eaux d’égout. Ces derniers constituent d’ailleurs aujourd’hui des lieux d’approvisionnement privilégiés pour les chercheurs.
Mais pourquoi le recours à la phagothérapie ne s’est-il pas démocratisé ?
Pour comprendre cela, repartons dans les années 1930, période au cours de laquelle les premiers antibiotiques virent le jour. L’exploitation généralisée dans le monde occidental de ces molécules très efficaces fit tout simplement tomber les bactériophages dans l’oubli…
Aujourd’hui, du fait de l’utilisation non contrôlée des antibiotiques, nous devons relever le défi de l’antibiorésistance. L’identification de thérapies alternatives s’avère donc essentielle, et c’est tout naturellement que les regards se tournent à nouveau vers la phagothérapie. Ainsi, c’est plus de cent ans après leur découverte, que les bactériophages vont enfin pouvoir jouer leur rôle et exprimer tout leur potentiel, fournissant à l’humanité une piste pour éviter de retourner à une ère pré-antibiotiques aux conséquences désastreuses.